Traduit de l’article de Giuliana P.
“Seuls ceux qui ignorent la manifestation de la Beauté diront : « Nous sommes satisfaits de ce qui existe. »”. (1)
Lorsque l’homme se condamne à ne voir et à ne poursuivre que les formes visibles, lorsqu’il s’obstine à descendre toujours plus profondément dans les méandres de la matière, perdant le contact avec l’Être et l’Infini, c’est alors que la Beauté disparaît, se perd dans la mémoire et s’égare dans l’oubli de son existence.
Et il ne s’agit pas seulement d’œuvres d’art dépourvues du feu de la Beauté, mais de la présence de plus en plus évidente dans la vie quotidienne de la vulgarité, du mépris, de l’arrogance, de l’ignorance, de la méfiance, de la confusion, de l’égarement, qui donne la mesure de la perte de la Beauté.
Comme le dit l’Enseignement : S’étant privée elle-même de la connaissance des perspectives cosmiques, l’humanité s’est séparée des manifestations de l’Infinité et a perdu le fil de l’unité avec la beauté de la vie, ainsi qu’avec l’énergie cosmique […] Affirmez-vous dans l’acceptation de la grande beauté de l’Infini !”. (2) Imaginons donc que nous possédions un miroir très fin, presque impalpable, un miroir dont les deux faces sont réfléchissantes. La face tournée vers le haut de ce précieux miroir reflète l’infinie magnificence du ciel, la splendeur des étoiles et la vigueur du soleil et imprime toute cette énergie sur la face tournée vers le bas dont la tâche est de reproduire fidèlement ce que l’œil de l’âme contemple.
Et cette capacité réfléchissante, cette aptitude à unir le haut et le bas, à répéter de manière symétrique et organisée les Idées primordiales jusqu’à ce qu’elles se précipitent en principes et en formes, nous pouvons l’appeler la Beauté, un miroir invisible et omniprésent, intangible et réel, occulte et manifeste.
Et si nous pouvons faire l’expérience de la Beauté, c’est parce que nous accédons au Monde des Idées, infini et lumineux, directement avec notre part d’Infini, à travers la lumière que nous avons su évoquer en nous-mêmes, à travers une connaissance globale et péremptoire qui résume en elle les caractéristiques de l’absolu.
Et si nous sommes un tant soit peu conscients de la présence de ce miroir en nous, nous savons aussi qu’il nous est demandé d’avancer dans la vie avec un équilibre léger, en dansant sur la corde tendue du chemin de l’évolution pour que le miroir ne tombe pas, en se brisant. Non pas tant parce que la Beauté est fragile, mais parce que toute déviation de la Voie du Milieu brouille la vision, conduisant inévitablement au chaos, en rompant le lien avec l’Infini.
Et il ne sert à rien de se défendre en invoquant le ‘goût personnel’, le ‘plaisir‘ ou le ‘déplaisir’, l’opinion individuelle ; il ne sert à rien d’invoquer la technique, l’habileté de la main et de la pensée, la possession de la tradition ou de l’innovation. Autant d’éléments marginaux qui passent à côté du cœur du problème.
La beauté est ou n’est pas.
Pourquoi donc la Beauté est-elle si insaisissable et en même temps si rayonnante, capable de s’imprimer péremptoirement dans le regard et la conscience de l’homme ? L’enseignement vient à notre secours en affirmant qu’“Il existe une beauté mystique qui doit être atteinte, ainsi que nous le savons, par l’art. Cela communique un sens général de beauté, de couleur et d’inspiration ; ainsi, la beauté vêt et voile les idées. Il existe une beauté occulte (cachée) qui doit également être atteinte dans le domaine de l’art. Cela communique un sentiment différent de beauté, de couleur et d’inspiration, habillée de formes qui révèlent les idées. La beauté mystique voile, dans la beauté, l’idéal. La beauté occulte la révèle”. (3)
La Beauté est donc cette Règle d’or qui sous-tend l’univers parce qu’elle puise directement dans le monde des Causes/Idées et sans laquelle ce qui est érigé par les mains et la pensée apparaît déformé, disproportionné ou simplement imbriqué dans une formalité extérieure.
La Beauté ‘rend toutes choses divines’ parce qu’elle vit intimement attachée à l’Être divin.
La Beauté imite l’Inimitable.
La Beauté imite l’Unique et le repropose sous des formes infinies qui conservent, chacune à sa manière, son ‘image et sa ressemblance’.
Et ce miroir intérieur, qui dicte sa Loi parfaite à notre conscience et lui permet de se révéler dans la splendeur du monde formel, entraîne avec lui ceux qui acceptent ce défi suprême et se tournent vers le Plus Haut, conscients que l’Unité est le tissu sur lequel peut germer la Beauté.
“La beauté visible est l’image de la beauté invisible” (4) nous rappelle Hugues de Saint-Victor et l’Agni Yoga lui fait écho en affirmant que “…tout le pouvoir d’action demeure dans le monde invisible” (5) et que cette “beauté occulte” est le pouvoir qui montre l’ “invisible” ; une beauté qui réside au plus profond de chaque atome et qui attend d’être mise en lumière par le fil d’or qui la relie à l’Infini.
En effet, l’Enseignement nous rappelle que “Tous les ordonnancements cosmiques tiennent compte de la beauté. Le chemin de l’Infini appelle à la beauté”. (6) et que “l’Infini se manifeste dans la Beauté”. (7)
Dans l’Infini, les Idées sont ordonnées, parfaites, éternelles, immortelles, comme nous le rappelle Platon ; ce sont des “énergies du plus haut potentiel”, les modèles parfaits des choses, et elles assument en elles-mêmes tous les pouvoirs de l’Être, dont elles sont l’image et la matrice en devenir. Ce sont précisément les Seigneurs de la Perfection, Uranus et Mercure, que nous retrouvons aujourd’hui, dans la vision héliocentrique, unis dans les eaux lumineuses du Taureau, qui gouvernent l’apparition de la Beauté dans la conscience. Mercure est “… le Bâtisseur de la Beauté, un bien divin diffusé partout, inexprimable, insaisissable, adoré, qui se pose avec légèreté sur les choses et les transfigure. La Beauté est le grand don de Mercure. Elle réjouit le drame solaire. Elle est un mystère aimable qui s’enracine à la fois dans les règles et dans la liberté”, (8)
Uranus, chantre du Nombre et de la Géométrie, gardien des Règles célestes, se sert du vol de Mercure, Messager ailé du Ciel, pour faire descendre la lumière du Monde des Idées jusque dans la substance, la rendant immaculée et la renvoyant transfigurée à la source dont elle est issue. Mercure agit subtilement de l’intérieur et favorise l’action échangeable entre la cause et l’effet, entre les Idées et les formes, tandis qu’Uranus amène les formes elles-mêmes au raffinement et marque en même temps, avec règle et rythme, les phases de leur apparition. L’action combinée des énergies du 4ème et du 7ème Rayon, véhiculées par les deux Luminaires, contribue ainsi à dévoiler la Beauté de sa demeure, le haut des Cieux, pour la faire descendre sur terre. L’apparition de la Beauté aux yeux de l’homme est donc l’apparition du divin qui se fraye un chemin dans la conscience par la ‘connaissance directe’, le mode cognitif qui nous permet d’accéder au Monde des Idées.
Dans cet élan, nous sommes soutenus par diverses déclarations dans les Enseignements qui attestent de ce qui suit : “L’intellect n’est pas la sagesse. La connaissance directe l’est” (9), “la noble connaissance directe est tendue vers le haut” (10), “la connaissance directe explore l’Infini” (11) et enfin “la connaissance directe est en contact avec les vérités cosmiques”. (12).
Cela définit les contours d’une capacité cognitive capable de conduire l’homme à la compréhension du Réel, et ceci non de manière rationnelle habituelle, mais par un contact direct avec ce que l’on veut connaître. Un contact qui ne peut être confondu ni avec les apparences incertaines du sentiment, ni avec les oscillations douteuses d’une logique rationnelle. Les vérités cosmiques ne peuvent être qu’’intuitionnées’, c’est-à-dire connues selon une ‘méthode’ infinie, tissée de la même substance très subtile dont est fait l’Infini. Une méthode qui n’a rien du sentimentalisme ou de l’ unité illusoire avec le tout dont se parent de nombreuses théories, mais qui repose sur le sommet de l’Intelligence abstraite et qui, à partir de là, accède à des niveaux de conscience de plus en plus subtils et raréfiés, des niveaux où les élucubrations mentales ne sont plus utiles, voire nécessaires, et où le moyen d’atteindre les Réalités supérieures est l’intuition, cette Raison pure qui ne s’embarrasse pas de dichotomies, mais qui sait ce qui est sans hésitation ni questionnement. “L’intuition ou raison pure est la faculté qui permet à l’homme de prendre contact avec le Mental Universel et de comprendre synthétiquement le Plan, de saisir les idées divines, de percevoir quelque vérité fondamentale”. (13)
Il est donc possible d’atteindre cette adhésion naturelle au Réel en s’immergeant pleinement dans le monde des Causes, en pointant fermement là où réside la perfection de l’Être et en apprenant à partir de là à rayonner à son tour la lumière de la Beauté. “Une intensification mutuelle entre l’humanité et la beauté du Cosmos est nécessaire pour qu’une puissance cosmique unifiée puisse être assurée”. (14)
Pour apparaître à nos yeux, la Beauté requiert la participation de la conscience ; c’est par la conscience que l’image de ce qui a été contemplé dans le Monde des Idées peut se répercuter sur la terre et briller. L’Humanité, imprégnée de l’énergie du 4ème Rayon, possède le même pouvoir de Beauté et d’Harmonie qui vibre dans le cosmos et peut rendre consciente l’apparition de la Beauté dans le monde. L’Humanité, enfin, intimement immergée dans le Son des Idées, pourra donner naissance à cet acte parfait qui la réunira à l’Un et la ramènera à l’Infini.
“La couronne de l’Etreté unit ce qui lui appartient
La Raison Suprême unit ce qu’elle manifeste.
L’Aimant Cosmique fusionne ce qu’il rassemble.
Ainsi triomphe la Beauté de l’Êtreté.”.
(Infini II § 33)
Notes
- Collection Agni Yoga, Infini I § 14
- Ibid. § 44
- A. Bailey, L’État de Disciple dans le Nouvel Âge, Vol. I, ang. 283
- Hugues de Saint-Victor, Hierarchiam coelestem expositio, PL 175, col. 954, cité dans U. Art et beauté dans l’esthétique médiévale, Bompiani, 1987
- Collection Agni Yoga, Infini II § 455
- Ibid. § 186
- Collection Agni Yoga, Illumination 322
- Premier sommet, L’homme sur terre et au ciel, Nuova era, 2020, p. 183
- Collection Agni Yoga, Agni Yoga 508
- Ibid. § 563
- Collection Agni Yoga, Infini I § 4
- Collection Agni Yoga, Cœur 472
- A. Bailey, Traité sur la magie blanche, ang. 365
- Collection Agni Yoga, Infini II § 424